HomeMy WebLinkAboutSarault Group 15-10-06RENVOI À L’ARBITRAGE DU DIFFÉREND
ENTRE :
LE SYNDICAT DES EMPLOYÉES ET EMPLOYÉS DE LA
FONCTION PUBLIQUE DE L’ONTARIO
(le syndicat)
-ET-
LA CITÉ
(l’employeur)
dossier numéro SEEPO 2014-0470-0009
Mary Ellen Cummings, arbitre
Wassim Garzouzi, conseiller juridique pour le syndicat
André Champagne, conseiller juridique pour l’employeur
Décision rendue à London, Ontario, le 6 octobre 2015
-1-
DÉCISION
1. Cette décision porte sur deux questions préliminaires qui ont été soulevées au
début de cette affaire. À l’automne 2014, un groupe d’employés travaillant comme
psychologues pour l’employeur a déposé un grief collectif, alléguant que le directeur des
plaignants, Philippe Proulx, a fait preuve de harcèlement psychologique à l’endroit des
psychologues. Leur plainte contient des allégations de harcèlement, d’intimidation et
d’abus de pouvoir.
2. Au su des plaignants, l’employeur a décidé de confier à une entreprise
indépendante la tâche de mener une enquête, à laquelle les cinq plaignants ont participé.
Les deux personnes chargées de l’enquête ont aussi interviewé M. Proulx et d’autres
témoins.
3. Le 29 mai 2015, les personnes qui ont procédé à l’enquête ont déposé leur
rapport. Elles ont conclu que les allégations de harcèlement, d’intimidation et d’abus de
pouvoir n’étaient pas fondées. Les enquêtrices ont déterminé que Mme Chevalier « a eu
un comportement intimidant à l’endroit de Marie-France Landry ». Les enquêtrices sont
également d’avis que « Mona Chevalier, Isabelle Doyon, Chantal Sarault, Luc Bélisle et
Michel Lefebvre ont eu des comportements de harcèlement de groupe (mobbing) à
l’endroit de Philippe Proulx ».
4. L’employeur a écrit aux plaignants pour les informer qu’il procédait à l’analyse
du rapport et planifier une réunion de discipline avec chacun d’eux. Chacun des
plaignants a été suspendu sans traitement, pour des périodes allant de 5 à 12 jours. Les
lettres de réprimande indiquent que l’employeur a examiné le rapport, cite des exemples
des comportements troublants qui y sont décrits, évalue dans quelle mesure les
conclusions démontrent que les plaignants ont enfreint les politiques du collège et
explique pourquoi le collège impose des mesures disciplinaires.
5. Tous les plaignants ont déposé un grief contestant les mesures disciplinaires qui
leur ont été imposées. Mona Chevalier a déposé un autre grief, alléguant que l’employeur
a exercé des représailles contre elle en exigeant qu’elle justifie toute absence pour cause
de maladie en présentant un billet du médecin. J’ai été saisie de tous ces griefs : la plainte
des psychologues, alléguant que M. Proulx a fait preuve de harcèlement psychologique;
la contestation des plaignants de la suspension disciplinaire; et la plainte de représailles
déposée par Mme Chevalier.
6. Les questions préliminaires sur lesquelles je dois me prononcer sont les
suivantes :
a) quelle partie doit présenter sa preuve en premier lieu ?
b) quelle est la nature de la production de documents à laquelle chaque partie a droit ?
Quelle partie doit présenter sa preuve en premier lieu ?
7. Cette question survient dans des cas comme celui-ci, alors que chaque partie a
l’obligation de présenter une preuve. Il incombe au syndicat de prouver que M. Proulx
s’est livré à de l’intimidation psychologique et que l’employeur a exercé des représailles
contre Mme Chevalier. D’un autre côté, il incombe à l’employeur d’établir que chacune
-2-
des cinq décisions qu’il a prises de suspendre les plaignants pour des périodes variables
était justifiée.
8. Lorsque des arbitres ont eu à déterminer le déroulement des procédures dans des
circonstances où plus d’une partie partage le fardeau de la preuve, c’est-à-dire qu’une
partie est tenue de présenter une preuve sur certains aspects et la deuxième partie d’en
produire une relativement à d’autres aspects, les arbitres cherchent à établir la véritable
nature de l’affaire. Dans Toronto and CUPE Local 79 (Curley grievance), [2002]
O.L.A.A. No. 26, l’arbitre Surdykowski a déclaré : « Lorsqu’il s’agit de la question de
savoir qui doit présenter une preuve en premier lieu, l’arbitre devrait tenir compte de la
principale allégation ou de la contestation majeure dans le cadre des procédures et tenter
de trouver la manière de procéder la plus équitable, la plus pratique et la plus
expéditive. » Il poursuit en disant que lorsqu’on allègue un motif valable de
congédiement, cela représente généralement la question principale ou dominante, même
lorsqu’il existe également des allégations de harcèlement et de discrimination. L’affaire
dont il a été saisi avait trait à des mesures disciplinaires, mais à son avis, le syndicat a
soulevé cette question « uniquement comme un aspect du cas de
discrimination/ harcèlement allégué ».
9. Dans Toronto Community Housing Corporation and OPSEU (Gordon grievance)
(2014) 242 L.A.C. (4th) 298, j’ai déterminé que dans le cas de griefs multiples où les
allégations de harcèlement sont conjuguées à une contestation de licenciement, le
syndicat devrait présenter sa preuve en premier lieu. Je suis convaincue que
l’interprétation du syndicat de tous les événements, dont la décision de mettre fin à
l’emploi du plaignante ayant déposé le grief, qui témoigne d’un harcèlement
systématique à l’égard du plaignante, signifie que les droits humains et la discrimination
constituent les questions dominantes. Étant donné qu’il incombe au syndicat de présenter
en premier lieu la preuve relative à la question principale, j’ai exigé que le syndicat
présente sa preuve en premier lieu. Je suis convaincue également que le syndicat
connaissait en détail les raisons incitant l’employeur à mettre fin à l’emploi du plaignante
et qu’il était bien placé pour produire une preuve suffisante pour répondre à ces
allégations.
10. Dans l’affaire dont je suis saisie, l’employeur se fonde sur Toronto Community
Housing Corporation and OPSEU (Gordon grievance) pour appuyer sa position selon
laquelle le syndicat devrait présenter sa preuve en premier lieu. L’avocat de l’employeur
affirme que l’allégation principale ou la contestation majeure dans ce cas tient au fait que
M, Proulx a fait preuve de harcèlement psychologique à l’endroit des plaignants. Selon
l’interprétation de l’avocat de l’employeur, toutes les questions dont je suis saisie se
rapportent aux allégations de harcèlement déposées par les plaignants qui affirment que
ce harcèlement a commencé avant le début de l’enquête et s’est poursuivi par la suite,
comme le démontrent les allégations de représailles déposées par Mme Chevalier.
11. Mais dans une autre partie de ses observations, l’avocat de l’employeur a
interprété la plainte déposée par les psychologues contre M. Proulx comme étant un geste
défensif en vue d’empêcher l’employeur de se focaliser sur la conduite des plaignants à
l’égard de M. Proulx. L’employeur allègue qu’en même temps, les plaignants ont
paralysé les activités du Centre de la réussite collégiale en orchestrant des absences
concertées du travail qu’ils ont appelées « congés de maladie ». Si tout cela est
-3-
effectivement vrai, la question principale ou dominante dans ce cas a trait à l’imposition
par l’employeur de mesures disciplinaires à l’encontre des plaignants en raison de leur
inconduite alléguée.
12. L’avocat du syndicat se base aussi sur Toronto Community Housing Corporation
and OPSEU (Gordon grievance) et fait remarquer qu’il est exceptionnel d’exiger du
syndicat qu’il présente une preuve en premier lieu. L’avocat se fonde sur le test que j’ai
décrit dans ce cas : quel est le moyen le plus pratique, le plus équitable et le plus efficace
de produire une preuve ? Le syndicat soutient qu’il est plus pratique, équitable et efficace
que l’employeur soit le premier à présenter la preuve parce qu’il connaît les raisons pour
lesquelles il a imposé des mesures disciplinaires contre les employés. Qui plus est,
l’employeur possède l’information qui l’a poussé à entreprendre l’enquête.
13. L’avocat du syndicat affirme que l’employeur avait toute l’information nécessaire
pour être en mesure de répondre aux allégations de harcèlement psychologique des
plaignants par M. Proulx parce que les pages 3 et 4 du rapport des enquêtrices en font
état. Bien que le syndicat ne soit pas d’accord avec l’interprétation qui a été faite de
certaines allégations, il est convaincu que le contenu des allégations est clairement
exposé.
14. Chaque cas exige que l’arbitre s’en remette à son jugement pour déterminer
l’ordre de procédure lors de l’audience. Comme l’arbitre Surdykowski l’a fait valoir dans
Toronto and CUPE Local 79 (Curley grievance), lorsqu’il est question d’importantes
mesures disciplinaires dans une affaire, les mesures disciplinaires sont généralement
l’élément dominant, même lorsque l’affaire comporte également des allégations de
harcèlement et des mesures disciplinaires. Je suis bien consciente que, du point de vue de
l’employeur, les psychologues ont déposé leur plainte contre M. Proulx pour empêcher
l’employeur de se focaliser sur leur propre comportement. Il s’ensuivrait que l’inconduite
alléguée des plaignants constituerait l’aspect dominant de l’affaire dont je suis saisie. J’ai
aussi tenu compte du fait que le syndicat a confirmé que les allégations des plaignants
contre M. Proulx ont été détaillées dans le rapport d’enquête; je suis donc convaincue que
l’employeur peut produire une preuve suffisante pour répondre à ces allégations.
J’ordonne que l’employeur présente sa preuve en premier lieu.
Quelle est la nature de la production de documents à laquelle chaque partie a droit ?
15. Le syndicat a demandé la production des documents dans un courriel daté du
17 septembre 2015. L’employeur a répondu à cette demande lors de notre audience tenue
le 21 septembre 2015. La demande du syndicat se lit comme suit :
1) Tous les rapports d’enquête préparés par l’enquêtrice, y compris, mais pas exclusivement, les
brouillons, les ébauches, les exemples et les versions non corrigées.
2) Toutes les correspondances entre les ressources humaines, notamment Pascal Bessette et
Caroline Viola, et l’enquêtrice.
3) Toutes les notes prises par l’enquêtrice dans le cadre de son enquête.
4) Les mandats d’enquête de l’enquêtrice, y compris les descriptions écrites du mandat
d’enquête.
5) Tous les courriels entre Philippe Proulx et les ressources humaines, notamment Pascal
Bessette et Caroline Viola, pendant l’enquête.
-4-
6) Tout autre document « pouvant être pertinent ».
7) La divulgation du relevé de compte de l'enquêtrice − e t p l u s p r é c i s é m e n t l e d o c u m e n t
détaillant le temps et le travail effectué dans le contexte de l'enquête.
16. Le syndicat croit comprendre que deux personnes ont mené l’enquête, mais le
rapport ne porte qu’une seule signature.
17. Dans ses observations, l’employeur a déclaré être prêt à divulguer au syndicat
toute l’information pertinente en sa possession, sous réserve de se prévaloir de son droit
au secret professionnel entre l’avocat et son client, le cas échéant.
18. En ce qui a trait au premier point, l’employeur est disposé à divulguer tous les
rapports en sa possession, y compris les brouillons, les ébauches, les exemples et les
versions non corrigées. Toutefois, il a fait valoir aux enquêtrices que celles-ci n’étaient
pas ses employées et qu’il ne pouvait pas produire l’information qui n’était pas en sa
possession. Pour ce qui est du point 2, l’employeur est prêt également à divulguer cette
information, sous réserve du secret professionnel liant un avocat à son client.
L’employeur est d’avis que le point 2 englobe le point 4.
19. À l’issue de l’audience, dans un courriel daté du 24 septembre 2015, le syndicat a
modifié le point 5 de sa demande pour prolonger la période du 5 janvier 2013 au 25 août
2015. Dans sa réponse par courriel en date du 30 septembre, l’employeur a convenu de
fournir les documents demandés.
20. L’employeur est prêt à divulguer les relevés de compte des enquêtrices à
condition que les montants versés soient supprimés du texte.
21. L’employeur indique qu’il n’a rien à cacher, mais souhaite que ce soit moi qui
détermine l’ordonnance de production afin de protéger le collège et de s’assurer que la
production des documents fasse partie du processus d’arbitrage.
22. J’ordonne par la présente que l’employeur fournisse à l’avocat du syndicat, au
plus tard le 19 octobre 2015, les documents suivants :
1) Tous les rapports d’enquête préparés par l’enquêtrice, y compris, mais pas
exclusivement, les brouillons, les ébauches, les exemples et les versions non corrigées.
2) Toutes les correspondances entre les ressources humaines, notamment Pascal Bessette
et Caroline Viola, et l’enquêtrice.
3) Toutes les notes prises par l’enquêtrice dans le cadre de son enquête.
4) Les mandats d’enquête de l’enquêtrice, y compris les descriptions écrites du mandat
d’enquête.
5) Tous les courriels entre Philippe Proulx et les ressources humaines, notamment Pascal
Bessette et Caroline Viola, entre le 5 janvier 2013 et le 25 août 2015.
6) Tout autre document « pouvant être pertinent ».
7) La divulgation du relevé de compte de l'enquêtrice − et plus précisément le document
détaillant le temps et le travail effectué dans le contexte de l'enquête
23. Il est entendu que j’ordonne à l’employeur de ne divulguer que les documents
qu’il a en sa possession et qui ne sont pas protégés par le secret professionnel liant un
-5-
avocat à son client. L’employeur peut biffer le montant de chaque relevé de compte de
l’enquêtrice.
24. Lors de l’audience du 21 septembre 2015, l’avocat de l’employeur a demandé que
les documents suivants lui soient remis par le syndicat :
Tous les documents, toutes les notes, toutes les correspondances, de quelque nature que ce soit,
qu’ils ont produits eux-mêmes, et/ou qu’ils se sont échangés entre le 5 janvier 2013 et le 25 août
2015.
Je demanderais également une ordonnance − que ces documents ne soient pas strictement limités
à des courriels provenant du serveur de la Cité collégiale − mais qu’il s’agisse de textes par
téléphone, ou de Dropbox.
Dans ses observations, l’avocat de l’employeur a déclaré que ce dernier a raison de croire
que les cinq plaignants ont créé un compte Dropbox où ils pourraient déposer des
documents et des commentaires et partager de l’information au sujet de l’affaire en cause.
25. Dans sa réponse à la demande de l’employeur, l’avocat du syndicat soutient que
l’employeur a libre accès aux courriels des plaignants qui se trouvent sur le serveur du
collège. L’avocat du syndicat fait valoir que si l’employeur souhaite trouver les courriels
pertinents, il peut effectuer sa propre recherche. L’avocat de l’employeur m’a demandé
d’inclure dans ma décision le fait que le syndicat convient que l’employeur a libre accès
aux courriels des plaignants sur le serveur de l’employeur, et c’est ce que je fais.
26. L’avocat du syndicat soutient que l’employeur se livre à une « recherche à
l’aveuglette » en ce qui concerne les autres documents qu’il tente d’obtenir, qu’il s’agit
d’un exercice qui prendra beaucoup de temps et d’une demande abusive qui exigerait que
les plaignants examinent toute la correspondance échangée entre eux sur une période de
30 mois.
27. L’avocat du syndicat indique dans ses observations qu’il est prêt à divulguer « les
documents pertinents, le cas échéant, dans un compte Dropbox partagé entre les
plaignants ». L’employeur est d’avis que la réponse est inadéquate et ne veut pas que le
syndicat filtre ce qui est divulgué. L’employeur souhaite avoir accès à tous les documents
qui ont été déposés dans le compte Dropbox.
28. L’avocat du syndicat se plaint que la demande faite par l’employeur de divulguer
tous les documents s’échelonnant sur une période de 30 mois est trop large. L’avocat de
l’employeur se plaint que l’offre du syndicat de ne fournir que les documents pertinents
déposés dans le compte Dropbox est trop étroite.
29. La jurisprudence établit que chaque partie est en droit de recevoir de l’autre partie
tous les documents qui sont sans doute pertinents ou « pouvant être pertinents » aux
questions en litige. Dans ce cas, il n’est pas difficile de déterminer les questions en litige.
Elle sont détaillées dans le rapport de l’enquêtrice, daté du 29 mai 2015, les lettres de
réprimande remises à chacun des plaignants et le grief déposé par Mme Chevalier,
alléguant que l’employeur a exercé des représailles. Lorsque j’ordonne au syndicat de
fournir à l’employeur tous les documents qui sont sans doute pertinents aux questions en
litige, j’ordonne quelque chose de moins que « [t]ous les documents, toutes les notes,
toutes les correspondances, de quelque nature que ce soit, qu’ils ont produits eux-mêmes,
et/ou qu’ils se sont échangés entre le 5 janvier 2013 et le 25 août 2015 ». Mais j’ordonne
-6-
certainement plus que « les documents pertinents, le cas échéant, dans un compte
Dropbox partagé entre les plaignants ».
30. Je m’attends à ce que les deux avocats continuent à mettre leurs compétences, leur
expérience et leur professionnalisme au service de leurs clients pour les aider à
déterminer quels sont les documents sans doute pertinents aux questions en litige et qui
ne sont pas protégés par le secret professionnel liant un avocat à son client.
31. J’ordonne au syndicat de fournir à l’employeur au plus tard le 19 octobre 2015 :
Tous les documents, toutes les notes, toutes les correspondances, de quelque nature que
ce soit, qui sont produits par les plaignants, et/ou qu’ils se sont échangés entre le 5 janvier
2013 et le 25 août 2015 et qui peuvent être pertinents aux questions qui sont en litige. Ces
documents incluent les textes échangés par téléphone ou déposés au Dropbox.
32. Il est entendu que le syndicat n’a pas à divulguer des documents que l’employeur
peut trouver sur le serveur de courriels du collège.
Signée à London, ce 6 octobre 2015
Mary Ellen Cummings