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HomeMy WebLinkAbout2015-1330.Dubuc.24-02-05 Décision Crown Employees Grievance Settlement Board Suite 600 180 Dundas St. West Toronto, Ontario M5G 1Z8 Tel. (416) 326-1388 Commission de règlement des griefs des employés de la Couronne Bureau 600 180, rue Dundas Ouest Toronto (Ontario) M5G 1Z8 Tél. : (416) 326-1388 No de la CRG 2015-1330 No du SYNDICAT 2015-0453-0001 DANS L’AFFAIRE D’UN ARBITRAGE en vertu de LA LOI DE 1993 SUR LA NÉGOCIATION COLLECTIVE DES EMPLOYÉS DE LA COURONNE devant LA COMMISSION DE RÈGLEMENT DES GRIEFS ENTRE Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario (Dubuc) Syndicat - et - La Couronne du chef de l’Ontario (Ministère du Solliciteur général) Employeur DEVANT Bram Herlich Arbitre POUR LE SYNDICAT Wassim Garzouzi Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck s.r.l. Avocat POUR L’EMPLOYEUR Katie Ayers Secrétariat du Conseil du Trésor Direction des services juridiques Avocate OBSERVATIONS ÉCRITES Le 15 décembre 2023 -2 - Décision [1] La présente affaire est inscrite au rôle de la Commission de règlement des griefs depuis presque une décennie. Le plaignant a été renvoyé de son poste d’enquêteur sur les incendies, Bureau du commissaire des incendies, en mai 2015. Pour bon nombre de raisons (certaines assurément plus impérieuses que d’autres), cette instance a été considérablement prolongée et demeure incomplète. En effet, la présente décision ne sera pas définitive, pour ne traiter que de la motion du syndicat en vue d’obtenir la production de certains documents, avant de nous rapprocher de l’issue du litige, faute d’y arriver pour l’instant. [2] Toutefois, bien que ma tâche de l’heure, à savoir trancher une demande de production, soit fort circonscrite, il serait utile d’examiner brièvement le contexte dans lequel la demande est présentée. [3] Comme je l’ai indiqué, le congédiement est survenu en mai 2015. Le grief qui a mené à l’instance dont j’ai été saisi, une première fois comme vice-président de la Commission de règlement des griefs et, récemment, cette fois comme membre figurant à la liste d’arbitres de la Commission, avait été déposé à la suite du congédiement. Le plaignant avait près de 26 années d’ancienneté au moment de son congédiement. Je suis saisi d’un seul grief. Le syndicat y fait valoir que le plaignant a été renvoyé sans motif valable et qu’il a été l’objet de harcèlement et de discrimination en contravention des conditions de la convention collective et de certaines protections prévues par la loi. Sans que soient nécessairement limités les paramètres de la réclamation, le syndicat demandait la réintégration et le versement d’une indemnité, y compris une mesure corrective intégrale ainsi que des dommages-intérêts pour harcèlement et discrimination et pour diffamation et perte de réputation. [4] Les parties et leurs avocats de l’époque (chaque partie a engagé ou s’est vu assigner de nouveaux avocats deux fois au fil des ans) ont comparu pour la -3 - première fois devant moi en 2016. À l’époque, ils étaient arrivés à s’entendre, sous réserve de leurs droits, sur un règlement provisoire prévoyant que le plaignant retournerait au travail selon un contrat temporaire à durée déterminée et occuperait un autre poste que son ancien poste (quoique peut- être de rang supérieur à celui-ci). Ce point de départ devait laisser présager un règlement amiable et raisonnable de l’affaire, mais le temps a balayé l’optimisme à cet égard. Sept ans plus tard, bien que des progrès majeurs aient été réalisés, l’affaire n’est toujours pas tout à fait réglée. [5] Le retour temporaire au travail du plaignant a pris fin en 2018 et les parties se sont penchées de plus près sur le litige. Au cours des années qui ont suivi, il y a eu plusieurs jours d’audience, ajournements, retards et décisions, tous ponctués des efforts soutenus consentis en vue d’arriver à un règlement. Certaines démarches se sont avérées fructueuses, du moins en partie. Des raisons se sont ajoutées pour expliquer les retards, à commencer par la pandémie. Pendant longtemps, le syndicat a demandé d’ajourner les dates d’audience prévues, dans l’espoir que les audiences en personne reprendraient imminemment (chose qui se fait toujours attendre). L’employeur a cédé aux demandes d’ajournement du syndicat jusqu’à un certain point, puis les audiences virtuelles ont fini par reprendre. [6] L’événement le plus important a eu lieu en juillet 2021, lorsque l’employeur a informé le plaignant qu’il annulait sa lettre de congédiement, qu’il le réintégrait à son ancien poste et qu’il avait l’intention de lui rembourser tout le salaire perdu à partir de la date de son congédiement. Cet événement, ainsi que les discussions qui ont suivi entre les parties, a mené, le 28 février 2022, à une décision dans laquelle j’ai conclu que l’employeur n’avait pas de motif valable de congédier le plaignant. L’employeur s’est vu ordonner de payer au plaignant, au titre du salaire perdu, un montant dont les parties avaient convenu. La décision reconnaissait également qu’il pouvait subsister des différends entre les parties relativement aux demandes d’indemnisation supplémentaire ou à d’autres questions découlant de la réintégration. Le -4 - syndicat s’est vu ordonner de cerner et de préciser de telles questions pour apporter de la certitude sur la portée des différends non réglés. [7] Cependant, il y avait une exception résiduelle à cette ordonnance, laquelle exception donne lieu à la question en litige ici. L’exception se rapporte à ce qui a été décrit comme les [TRADUCTION] « préoccupations [du plaignant] quant à la paternité des rapports d’enquête ». Il a été ordonné au syndicat de présenter une demande de production de documents relativement à ces préoccupations. Dans l’éventualité où l’employeur accepterait de produire les documents demandés, le syndicat se verrait accorder une autre possibilité de demander la modification ou l’élargissement de ses réclamations et précisions en conséquence. Dans l’éventualité où l’employeur refuserait de produire les documents, je demeurerais saisi de l’affaire. Le syndicat a présenté sa demande, énumérant les 73 documents dont il demandait la production. L’employeur a refusé de les produire et s’oppose à leur production. Le syndicat demande une ordonnance relative à la production de ces documents. [8] Dans ses observations, le syndicat affirme que [TRADUCTION] « […] la divulgation des rapports, ainsi que la possibilité que le syndicat étaye davantage sa position en fonction de leur contenu, étaient expressément prévues dans la décision de la Commission du 28 février 2022 ». Cette affirmation n’est ni tout à fait inexacte, ni tout à fait exacte. Il est vrai que la possibilité évoquée (à savoir, d’examiner les rapports pour mieux de revoir ou étoffer ses précisions) était envisagée. Elle n’était pas garantie. Deux choses pouvaient y donner lieu, à savoir la production volontaire des documents par l’employeur, ou une ordonnance de production de documents rendue par la Commission. La première ne se produira pas, tandis que la deuxième fera l’objet de la présente décision. Tout ce qui était garanti au syndicat, c’était la possibilité de demander une ordonnance de production. Nous y sommes justement. [9] La demande de production est motivée par les préoccupations du plaignant concernant la production et la conservation de certains rapports d’enquête sur -5 - les incendies relevant du mandat de l’employeur prévu par la loi. En particulier, les préoccupations sont liées à des rapports sur lesquels le plaignant avait travaillé mais qui n’avaient pas encore été achevés au cours de la période ayant mené à sa suspension et à son congédiement. L’« examen technique » dans ces rapports était en cours mais incomplet au moment de la suspension et du congédiement du plaignant. Or, il semble possible que le plaignant demeure l’inspecteur des incendies attitré à l’égard de rapports pourtant finalisés après sa suspension et son congédiement. [10] Dans ses observations, le syndicat a expliqué pourquoi il était d’avis que les préoccupations du plaignant quant à sa réputation professionnelle n’étaient pas anodines : [TRADUCTION] La fonction d’inspecteur des incendies est prévue par la Loi de 1997 sur la prévention et la protection contre l’incendie. Puisque le plaignant a été désigné comme l’auteur des rapports en question, il peut être assigné à comparaître à une enquête du coroner, ou à un procès criminel ou civil, pour témoigner sur le contenu des rapports. En l’espèce, le plaignant ne peut offrir un témoignage crédible au sujet du contenu final et de la certification des rapports. Par conséquent, n’importe lequel des rapports en question pourrait facilement être rejeté par un tribunal, parce qu’il est impossible de se fonder sur le témoignage du plaignant. La décision de l’employeur de nommer le plaignant comme l’auteur de rapports qu’il n’a pas finalisés l’a rendu (et le rend encore) vulnérable en ce qui concerne sa réputation professionnelle et soulève des ambiguïtés d’ordre éthique et juridique pour l’employeur. Le plaignant éprouve encore de l’anxiété connexe à l’incertitude persistante de la situation. [11] J’aurais beau accepter la légitimité, le caractère raisonnable, voire justiciable en soi des préoccupations du plaignant (sans en décider), je ne saurais faire fi du fait qu’il ne s’agit pas là d’un grief désancré, partant à la dérive d’une -6 - contestation de l’adéquation de la conduite de l’employeur après le congédiement. Le grief porte foncièrement sur ce congédiement. [12] À la décharge du syndicat, il s’agit là d’un fait que celui-ci a reconnu. En effet, dans la toute première décision rendue dans la présente affaire (rendue le 2 novembre 2016, aux par. 3 et 4), j’ai déclaré ce qui suit : [TRADUCTION] [3] Le syndicat présente des arguments qui se classent plus ou moins en deux catégories. Tout d’abord, il soutient que le plaignant a été renvoyé sans motif valable. Cependant, il prétend par ailleurs que la décision de l’employeur de congédier le plaignant était fondée sur des motifs illégitimes. À l’appui de cette dernière prétention, le syndicat a déposé environ 17 pages de précisions pour exposer ce qu’il décrit comme ses « allégations positives » […] [4] Le syndicat indique clairement que la preuve liée à ses allégations positives qu’il présente ne vise pas à demander réparation relativement aux événements en question. Il veut plutôt se fonder sur ces événements pour établir le modus operandi de l’inconduite qui, selon lui, a abouti au congédiement. Cela dit, bien qu’il ne demande aucune réparation propre aux événements en question, il n’en affirme pas moins la nécessité d’examiner ces faits et de les porter devant les tribunaux. [13] Qui plus est, dans ses récentes observations, le syndicat soutient que [TRADUCTION] « les documents [dont il demande la production] sont d’une pertinence défendable pour l’examen, par la Commission, de la question de savoir si l’employeur a congédié le plaignant de mauvaise foi et continue à agir de mauvaise foi en ne prenant pas de mesures raisonnables pour protéger la réputation professionnelle du plaignant ». La première mention de la pertinence des documents pour conclure à un congédiement de mauvaise foi n’a pas empêché le syndicat d’indiquer son intention de finir par solliciter non -7 - seulement des dommages-intérêts, mais aussi une ordonnance exigeant que l’employeur cesse et s’abstienne de conserver et de diffuser des rapports qu’il attribue au plaignant sans que ce dernier en soit l’auteur. [14] L’employeur a invoqué de nombreux motifs à l’appui de son opposition au prononcé de l’ordonnance sollicitée. Il nous a rappelé que, même si l’on accepte la prétention du syndicat selon laquelle les documents dont la production est demandée sont d’une pertinence défendable, la pertinence défendable est une condition préalable à la production nécessaire, mais pas nécessairement suffisante. L’employeur ajoute qu’il y a plusieurs raisons justifiant le rejet de la demande de production. [15] L’employeur souligne que j’ai déjà décidé (dans la décision du 7 décembre 2018) que les allégations relatives à un rapport d’enquête finalisé après le congédiement du plaignant conduisaient à un élargissement indu de la portée du grief. Il serait illogique dans ce contexte de rendre une ordonnance exigeant la production de documents se rapportant à d’autres rapports d’enquête finalisés, eux aussi, après la suspension et le congédiement du plaignant. Par ailleurs, l’employeur soutient que la demande du syndicat, qui vise à obtenir la production de rapports d’enquête et de documents accessoires liés à quelque 32 incendies différents survenus entre janvier 2013 et septembre 2014 et visés par une enquête du Bureau du commissaire des incendies, n’est guère plus qu’une recherche à l’aveuglette. De plus, et c’est sans doute l’autre face de la même pièce, l’employeur fait valoir que le syndicat n’a présenté aucun élément à l’appui d’une allégation selon laquelle les rapports pourraient être diffamatoires ou porter atteinte à la réputation du plaignant. [16] Pour les motifs qui suivent, j’ai décidé que la demande de production du syndicat doit être rejetée. [17] Tout d’abord, j’accepte la sincérité du plaignant pour ce qui est des préoccupations et de l’anxiété qu’il a exprimées quant à ce qu’il perçoit sans -8 - aucun doute comme un procédé bien singulier de conservation des rapports de l’employeur. [18] Cependant, à elles seules, les opinions subjectives sincères du plaignant sont insuffisantes pour justifier l’examen éventuel de preuves d’un nouvel ordre dans le présent litige. Je suis réticent à cet égard, d’autant plus que j’estime qu’il serait difficile de concevoir en toute objectivité un scénario plus ou moins réaliste, se déroulant maintenant ou plus tard, caractérisé par un préjudice infligé au plaignant ou à sa réputation en conséquence de la façon dont l’employeur a conservé ses dossiers d’enquête. De plus, même si l’un des scénarios redoutés par le plaignant devait se matérialiser, c.-à-d., s’il était appelé à témoigner dans le cadre d’une enquête ou d’une instance judiciaire au sujet d’un rapport sur lequel il avait travaillé mais qu’il n’avait pas achevé, il est difficile de comprendre ou même d’imaginer pourquoi tous les faits et circonstances pertinents ne seraient pas ou ne pourraient pas être divulgués au besoin, ou pourquoi il en résulterait nécessairement un conflit d’intérêts entre le plaignant et l’employeur. [19] Toutefois, le facteur le plus révélateur si je m’en tiens à ce volet de mon investigation tient au simple fait que, dans les documents ou observations qui m’ont été présentés, rien n’indique qu’un scénario de cet ordre se soit déjà matérialisé. Le syndicat affirme que les préoccupations du plaignant ne sont pas anodines; cette affirmation n’est pas tout à fait convaincante. Les préoccupations sont clairement spéculatives et théoriques. Par ailleurs, étant donné que les incendies ayant fait l’objet d’une enquête remontent tous à environ une dizaine d’années, la probabilité que des circonstances retiennent réellement les préoccupations du plaignant est tout au plus éphémère. [20] Passons rapidement sur le fait que le syndicat invoque la « pertinence défendable » comme critère relatif à la production. Le syndicat cite la décision rendue par mon collègue G.T. Surdykowski dans la sentence arbitrale Bruce Power L.P. v. The Society of United Professionals, 2021 CanLII 114134 (ON LA), dans laquelle mon estimé collègue déclare ce qui suit (au par. 30) : -9 - [TRADUCTION] Je conviens également que la pertinence défendable est le critère de production bien établi pour arbitrer des griefs et que le critère de production est « plus souple » que le critère d’admissibilité de la preuve à l’audience. Cependant, quelle que soit la souplesse du critère de production avant l’audience, il s’agit d’un réel critère et il faut davantage qu’une simple assertion de pertinence défendable pour que le seuil relatif à la production soit atteint. Le lien entre la demande de production et les questions cernées qui sont en litige doit être bien visible et clair, et la demande de production ne saurait relever de la recherche à l’aveuglette en dehors du « terrain du litige » établi par les documents du grief et les positions juridiques qui ont été adoptées, dans la mesure où il y a un lien entre ces positions et les questions cernées dans les documents relatifs au grief ou celles qui en découlent […] [21] En outre, comme le syndicat l’a lui-même reconnu, le pouvoir de l’arbitre de rendre une ordonnance de production demeure discrétionnaire. Par conséquent, il se peut que la pertinence défendable ne constitue pas une garantie de production. Des raisons de limiter ou de refuser la production de documents dont la pertinence peut autrement être défendable peuvent subsister. [22] Cependant, même abstraction faite de ce qui peut conditionner l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, il est essentiel de ne pas perdre de vue quel est le repère pour jauger la pertinence défendable. Bien qu’elle ne porte pas sur une question de production en soi, la sentence arbitrale Toronto Police Services Board v. Toronto Police Services Association, 2006 CanLII 50481 (ON LA), une autre décision rendue par G.T. Surdykowski, mérite notre attention. -10 - [23] L’affaire portait sur la contestation des mutations de 14 agents de police à l’extérieur de l’unité des policiers en civil de la Division 52. La contestation comportait des allégations ou des réclamations en dommages-intérêts pour diffamation. Les déclarations en cause, à l’origine des réclamations pour diffamation, avaient été faites avant, concurremment ou après les mutations. Le grief visait principalement les mutations. Les moments des déclarations ont pris de l’importance dans les délibérations de l’arbitre. Les questions abordées dans la sentence, la troisième d’une série de sentences préliminaires, se rapportaient au pouvoir de l’arbitre d’instruire les réclamations pour diffamation et à la question de savoir s’il fallait radier certaines parties des actes de procédure. [24] Après avoir examiné des sentences dans lesquelles des arbitres avaient assumé la compétence de statuer sur des allégations d’activités délictuelles de la part de l’employeur, l’arbitre déclare ce qui suit, aux par. 28 et 29 de la sentence : [TRADUCTION] Dans toutes ces affaires, la conduite délictuelle alléguée faisait partie de la res gestae ou du continuum factuel temporel qui a abouti à l’allégation selon laquelle l’action de l’employeur était contraire à la convention collective. En règle générale, la preuve postérieure au grief n’est pas admissible pour justifier ou contester la conduite dont il est allégué qu’elle constitue une violation de la convention collective. Cependant, la preuve postérieure au grief peut être admissible si elle met en lumière la conduite antérieure au grief en cause (par ex., un aveu d’intention indue postérieur au grief), ou si la violation de la convention collective est établie et que la preuve touche à la réparation (aux fins d’une réclamation en dommages-intérêts majorés ou punitifs, ou si l’atténuation devait constituer une question en litige, par exemple). Vient un temps où il faut fixer les paramètres de tout litige. Autrement, il serait possible de présenter tant et plus de nouvelles réclamations dans le cadre du litige. Il n’y a aucune raison pour interdire que ce moment soit la date de remise du grief (l’équivalent théorique d’une déclaration). Il y a lieu de présumer que la partie qui a -11 - déposé le grief croit tenir un fondement appuyé sur la convention collective et connait la teneur de ce foncement. Bien que des mesures prises après la remise du grief puissent exacerber le préjudice causé par une violation de la convention collective, il n’en reste pas moins que la décision sur le fond d’un grief ne saurait dépendre de quelque chose qui n’existe pas au moment de la remise du grief. Il ne fait aucun doute qu’un arbitre a la compétence exclusive d’instruire une réclamation fondée sur un délit civil, y compris la diffamation, et d’ordonner une mesure de réparation à cet égard, pourvu que la réclamation en responsabilité délictuelle ait le caractère factuel essentiel d’une réclamation qui relève de la convention collective en cause. Le terme « essentiel » signifie qu’il doit y avoir davantage qu’un lien quelconque entre la réclamation en responsabilité délictuelle et une réclamation prévue par une convention collective. Les tribunaux exigent un lien avec une réclamation qui a été ou qui pourrait être présentée en vertu de la convention collective. Lorsque la question est soulevée à l’arbitrage, le lien doit être établi avec une réclamation (c.- à-d., un grief) dont l’arbitre est saisi, parce que la compétence de l’arbitre est circonscrite par le grief ou les griefs dont il est saisi et par la convention collective et la législation applicable. Le terme « essentiel » s’entend d’indispensable, sinon fondamental ou faisant « partie intégrante » quant à une chose. Ainsi, à l’arbitrage, pour qu’une réclamation en responsabilité délictuelle relève de la compétence exclusive de l’arbitre, elle doit être indispensable à la réclamation présentée dans le cadre du grief en cause et fondée sur la convention collective, ou constituer une partie fondamentale de cette réclamation. [25] Il convient de signaler quelques parallèles fort indicatifs tant sur le plan thématique que pour les aspects des paramètres factuels visibles entre l’affaire Toronto Police Services et la présente affaire. Dans les deux affaires, un événement précis lié à l’emploi et à la convention collective constitue l’objet principal du grief (une mutation dans l’affaire Toronto Police Services; un -12 - congédiement en l’espèce). Et, dans les deux affaires, il est allégué que des déclarations de l’employeur (dans notre cas, se rapportant à des représentations écrites au sujet des rapports d’inspection y figurant) ont porté atteinte à la réputation des plaignants. Cependant, il est difficile d’appliquer clairement l’analyse dans l’affaire Toronto Police Services aux faits de l’espèce, en raison de la manière dont le syndicat me présente sa cause. Ce dernier tente ni plus ni moins de courir deux lièvres à la fois au moyen de l’affirmation que les documents dont il demande la production sont d’une pertinence défendable pour examiner [TRADUCTION] « la question de savoir si l’employeur a congédié le plaignant de mauvaise foi et continue à agir de mauvaise foi en ne prenant pas de mesures raisonnables pour protéger la réputation professionnelle du plaignant ». Je me pencherai sur chacun de ces deux volets séparément. [26] Comme je l’ai déjà souligné, le syndicat a initialement (autrement dit, il y a deux avocats et quelque cinq années de cela) indiqué qu’en ce qui concerne ses [TRADUCTION] « allégations positives », il ne sollicitait aucun recours découlant des faits plaidés, mais qu’il se fondait sur ces allégations uniquement afin d’établir que l’employeur avait congédié le plaignant pour des motifs illégitimes. Cette posture concorde certes avec la prétention actuelle du syndicat, selon laquelle les allégations, si elles devaient être prouvées, serviront à étayer son allégation de mauvaise foi. Or elle ne concorde certes pas avec une réclamation en dommages-intérêts, dans la mesure où cette réclamation est fondée sur la prétention selon laquelle l’employeur continue à agir de mauvaise foi en ne prenant pas de mesures raisonnables pour protéger la réputation professionnelle du plaignant. [27] La dernière réclamation se rapporte à la conduite de l’employeur après le dépôt du grief. Le lien entre cette conduite et le grief dont je suis saisi, soit le grief contestant le congédiement du plaignant, ne saute pas aux yeux et je vois encore moins en quoi il serait [TRADUCTION] « indispensable ou fondamental à la réclamation ». -13 - [28] Quelle que soit la responsabilité qui pourrait résulter directement (en vertu de la convention collective ou autrement) de la conduite de l’employeur après le grief, elle est tout simplement exogène au grief dont je suis saisi. En ce qui concerne les déclarations prétendument diffamatoires faites après le grief, mon collègue G.T. Surdykowski fait la remarque qui suit (au par. 35) : [TRADUCTION] … les présumées déclarations peuvent séparément donner ouverture à des poursuites (et non nécessairement en vertu de la convention collective), mais elles ne se rapportent pas aux faits importants pour les mutations en cause. Les allégations ne font pas partie intégrante du caractère essentiel de la réclamation prévue par la convention collective dans le grief dont je suis saisi, et je suis convaincu que je n’ai pas compétence quant à la réclamation en l’espèce. [29] Malgré une certaine incertitude quant à la date précise des mutations en cause dans l’affaire susmentionnée, l’arbitre s’est essentiellement déclaré compétent pour trancher des réclamations en diffamation en ce qui concerne les déclarations faites durant la période ayant précédé les mutations, mais pas à l’égard de celles qui ont suivi. Cette approche est évidemment compatible avec les opinions que l’arbitre avait déjà exprimées au sujet du recours à la date de dépôt du grief comme balise temporelle pour fixer les paramètres du litige relatif au grief. [30] Dans la mesure où le syndicat allègue que l’employeur s’est livré à une conduite délictuelle après le congédiement et demande une réparation sous forme de dommages-intérêts ou d’ordonnances de cesser et de s’abstenir de s’adonner à cette conduite, je suis convaincu qu’acquiescer à la demande donnerait lieu à un élargissement indu de la portée du grief relatif au congédiement dont je suis saisi. Autrement dit, que la pertinence de la production que demande le syndicat puisse bien être défendable dans une instance judiciaire proprement dite, fondée sur des allégations de préjudice causé par la conduite de l’employeur après le congédiement — soit. Reste que -14 - cette thèse de l’admissibilité dans une instance judiciaire ne suffit pas pour justifier la production de documents demandée en l’espèce. Une ordonnance de production exige [TRADUCTION] « un lien visible et clair entre la demande de production et les questions cernées qui sont en litige ». Par conséquent, il faut étirer le lien requis pour relier la prétendue conduite délictuelle postérieure au congédiement à la question qui est au cœur du différend relatif à la convention collective entre les parties. Je ne suis pas convaincu que les documents demandés soient d’une pertinence défendable quant au grief relatif au congédiement dont je suis saisi. [31] Je n’ai pas fait fi du fait que mon collègue G.T. Surdykowski a reconnu que la preuve postérieure au grief puisse être pertinente et admissible dans des circonstances exceptionnelles, par exemple, lorsque la preuve de la conduite postérieure au grief est invoquée pour faire la lumière sur le motif de la conduite antérieure qui fait l’objet du grief. Voilà certainement ce que fait valoir le syndicat lorsqu’il soutient qu’il y a un [TRADUCTION] « lien clair entre la demande visant les rapports et la question en suspens de savoir si l’employeur a congédié le plaignant de mauvaise foi et causé un préjudice à sa réputation professionnelle ». J’ai déjà conclu qu’une allégation indépendante selon laquelle l’employeur a causé un préjudice au plaignant dans le cadre de son traitement des rapports d’enquête dépasse la portée du présent grief. La question qui se pose ici est de portée moindre. Il s'agirait de savoir quel nouvel éclairage pourrait bien apporter un examen de la façon dont l'employeur a traité les rapports d’enquête après le grief pour ce qui est de connaître le motif qui a amené l’employeur à mettre fin à l’emploi du plaignant. [32] À mon avis, la réponse est « fort peu ». À n’en pas douter, il est peu probable qu’une enquête de cet ordre soit suffisamment éclairante pour justifier l’examen potentiel d’éléments de preuve d’un nouvel ordre, tirés des rapports et autres documents accessoires relatifs à quelque 32 enquêtes sur incendie différentes. J’exprime des réserves pour ce qui est d’élargir considérablement la portée du présent litige dans un contexte où huit années se sont déjà écoulées depuis les événements ayant donné lieu au grief, où le litige chemine très lentement vers -15 - un règlement définitif, où nous sommes sur le point d’arriver à une conclusion définitive possible (plusieurs des questions importantes ayant maintenant été réglées), où la thèse de la responsabilité avancée par le syndicat, même en ce qui concerne tout préjudice résultant du traitement des rapports d’enquête après le congédiement, est largement hypothétique et vise seulement un préjudice inchoatif. [33] Compte tenu de tout ce qui précède, la demande de production du syndicat est rejetée. [34] La présente décision est communiquée simultanément en français et en anglais. Ni l’une ni l’autre des versions n’est la version officielle; les deux versions devraient être considérées comme faisant pareillement autorité. Cela étant, je resterai saisi, pendant une période de 30 jours (et, par la suite, pour traiter de toute question que les parties peuvent soulever durant cette période de 30 jours), de toute question de compatibilité et de synchronisation linguistiques entre les deux versions. Fait à Toronto (Ontario) le 5 février 2024. « Bram Herlich » Bram Herlich, arbitre